Appel à communications

La journée scientifique du 7 décembre 2022 soulignera l’intérêt d’aborder la question du travail à travers l’espace. On s’intéressera autant au travail entendu comme activité et rapport social qu’à la notion d’emploi qui a un aspect plus statutaire. Nous invitons à explorer la notion de travail au sens large : travail formel/informel, non déclaré, légal /illégal, domestique…  Les travaux présentés au cours de cette journée, qu’ils soient issus de doctorant.e.s en sociologie de l'urbain et des territoires ou qu’ils s’inscrivent dans d’autres perspectives disciplinaires comme l’histoire, la géographie, l’anthropologie, l’urbanisme ou l’architecture, feront dialoguer les enjeux relatifs à la forme urbaine, à la morphologie produite par les activités économiques, à ceux relatifs aux rapports sociaux. Le travail contribue à façonner l’espace urbain et ses périphéries, son peuplement et ses flux : il a des effets structurants sur les pratiques urbaines. Mais il s’agit également de s’interroger sur la manière dont les travailleurs peuvent à leur tour participer à la production de la ville.

Axe 1 : Ce que le travail fait à la ville

Cet axe invite à interroger l’influence des activités productives sur la manière dont les quartiers se créent et se transforment. Il prend racine dans les réflexions de l’École de Chicago autour de l’écologie urbaine et de l'organisation spatiale comme reflet de l’organisation sociale de la ville : l’installation des activités et des populations se répondent, dans une dynamique de croissance de l’espace urbain (Burgess, 2005 [1925]), l’attraction des activités économiques devenant ainsi un enjeu primordial pour les villes.

Des activités typiques et structurantes pour la morphologie urbaine

Alors que les villes sont des espaces de concentration des activités, l’on peut s’interroger sur la façon dont certains espaces sont conçus pour des usages spécifiques relatifs à des formes de travail particulières. Les activités productives dans la ville ont en effet des conséquences sur sa morphologie, sur les flux qui la traversent et les représentations sociales de ces activités et les lieux où elles s’implantent.

Le commerce - activité urbaine par essence : Weber définissant notamment la ville comme le lieu du marché (Weber, 2014 [1921]) - participe fondamentalement de la structuration de la ville. Il s’agira donc d’interroger les processus de changement urbain au regard de l’offre commerciale, en prenant en compte le travail et les travailleur.ses. La spécialisation commerciale de certains quartiers produit des effets sur leur réputation. L’implantation de commerces peut aussi influer sur la transformation radicale de certains espaces : la gentrification commerciale, par exemple, produit des effets sur les rapports sociaux dans l’espace à travers les activités économiques. Ici encore, l’on pourra aussi se pencher sur l’intérêt d’attirer ou de maintenir des commerces dans les centre-villes, par exemple ceux des villes moyennes où la disparition des commerces est une menace.

Le commerce participant de l’atmosphère d’un espace urbain, nous invitons à étendre ce constat en interrogeant la construction des représentations sociales à travers la présence de toutes les activités économiques dans l’espace urbain. Nous pensons notamment à l’implantation historique des activités dans la ville et à leur évolution au cours du temps. La visibilité dans l’espace public d’activités polluantes, informelles, illégales ou moralement dépréciées participe également à façonner les représentations sociales liées à l’espace : quelles activités sont vues comme (in)désirables en fonction des époques (trafics, abattoirs, industries…) ? Quelles sont les externalités plus générales des activités productives sur les conditions de vie urbaines ?

Quand le travail quitte la ville : désindustrialisation et évolution des pratiques professionnelles

Nous souhaitons ici réfléchir aux situations où certaines activités quittent la ville. 

D’une part, la désindustrialisation progressive qu’ont connue les villes au cours du XXe siècle produit des effets majeurs car elle implique une réorganisation de l’espace urbain et une modification du peuplement comme la périurbanisation des activités et des classes populaires. L’aménagement des quartiers d’affaires pourra être interrogé ici, de même que les liens entre ces espaces du pouvoir économique et politique et la présence des populations les plus favorisées ou à l’inverse, celle des populations défavorisées à proximité des espaces de travail informel. Nous pensons aussi bien entendu à la mise en œuvre de transformations radicales conduites par les pouvoirs publics mais aussi par les promoteurs, à travers la transformation d’espaces anciennement dévolus au travail en équipements ou en logements : transformation d’espaces laissés en friche dans le cadre de programmes de logements, conversion de locaux industriels en équipements culturels… C’est alors poser la question du remplacement des formes de travail et de l’effacement des traces de la ville.

D’autre part, il s'agit également d'interroger plus largement la place même du travail en ville, en prenant acte des évolutions actuellement à l'œuvre dans les pratiques professionnelles ou intervenant dans la recomposition du marché du travail telle que la dématérialisation continue des échanges, récemment accentuée par la généralisation du télétravail pour une partie des salariés indépendants et du tertiaire. Ces évolutions, souvent corollaires d'autres phénomènes (technologiques, sanitaires,…) peuvent se traduire par des effets différenciés sur le territoire, induisant une recomposition physique et virtuelle inédite des formes urbaines, à l'image des "Zoom towns", ces villes moyennes qui accueillent les actifs qui quittent les grandes villes parce qu’ils peuvent pratiquer le télétravail.

Effets de peuplement et mobilités

Enfin, nous invitons à réfléchir à l’impact du travail sur le peuplement et les mobilités dans et autour de la ville. Certaines activités consommatrices d’espaces - plateformes de logistiques ou entrepôts - ne pouvant désormais s’installer qu’en dehors des grandes métropoles, les enjeux d’implantation de grands acteurs économiques et leurs conséquences sur le marché de l’emploi dans les villes périphériques pourraient ici être analysés.

Les disparités économiques et démographiques très fortes entre les pays et les régions génèrent des déplacements d'ampleur, notamment effectués au sein d’un réseau restreint de "villes-monde" souvent affectées davantage par la migration internationale que par la migration interne. L'impact sur les trajectoires résidentielles individuelles tout au long du parcours de vie s'observe également à l'échelle nationale comme en témoigne en France le retour “qualifié” dans les villes moyennes. Plus localement, la proximité des quartiers d’affaires a pu bouleverser l’espace et le peuplement d’anciennes banlieues industrielles. La présence d’institutions internationales ou européennes dans certaines villes peut aussi avoir des effets sur l’augmentation des prix de l’immobilier alors même que la mixité fonctionnelle urbaine reste un facteur important pour réduire et prévenir le chômage lié au “spatial mismatch” (Kain, 1968).

Il s’agit donc de considérer la mobilité, dont Burgess parlait comme du “pouls de l’agglomération” (2005, [1925]), à travers ce qu’elle impose en termes de déplacements contraints pour les travailleurs qui ne peuvent se loger en ville, ainsi qu'au plan de son impact environnemental. Les mobilités pendulaires sont en prise directe avec l’organisation urbaine, allant de la question du dimensionnement en heures de pointe des déplacements à celle de la mise en place progressive et différenciée des zones à faibles émissions, qui donnent à voir la nécessité de penser conjointement et durablement la ville productive et la ville verte.

Les communications sont ainsi invitées à réinterpréter la question du "droit à la ville" comme droit au travail, que l'accès à la ville soit considéré du point de vue de la mobilité migratoire, résidentielle ou quotidienne. On pourra noter avec intérêt l’existence du Mobiliscope, qui permet de connaître la ville à toute heure. Il s’agit d’un outil libre de géovisualisation mis au point par le laboratoire Géographie-cités en partenariat avec le CNRS, l’ANCT et l’Ined. Grâce à lui, on explore la mixité sociale et la population présente dans les villes sur 24 heures.

Axe 2 : Ce que la ville fait au travail

La constitution des villes repose sur le principe général de la concentration, à la fois de populations, de logements mais aussi d’activités. Afin de garantir un certain équilibre au sein de la ville, cette concentration doit nécessairement être pensée, organisée et donc structurée. Ainsi, tout un ensemble d’activités professionnelles sont directement associées au développement et au fonctionnement des villes. Dans cet axe, nous proposons donc de questionner ces différentes formes d’emplois  qui prennent un sens tout particulier dans les villes.

Penser et construire la ville : pour une sociologie des acteurs de la production matérielle et symbolique des espaces urbains

La sociologie des villes est le fruit de processus coproduits par une diversité d’acteurs. Ce que nous cherchons ici à analyser, ce sont justement les logiques et acteurs qui donnent à la ville sa forme tant spatiale que sociale. Nous souhaitons dans cet axe nous intéresser aux acteurs qui conceptualisent et façonnent la ville : urbanistes, architectes, ingénieurs, fonctionnaires territoriaux des services d’urbanisme, des services d’habitat, des intercommunalités et des communes, des sociétés d’économie mixte, et fonctionnaires d’Etat. Il s’agit à la fois d’explorer les processus qui exercent une influence concrète sur la matérialité de la ville, ses attributs, et ceux qui lui donnent une consistance symbolique – voire les deux à la fois.

Si la configuration socio-spatiale des espaces urbains est rarement le fruit d’une intention « toute-puissante », certains acteurs travaillent à façonner la ville, voire à la transformer, pour qu’elle réponde à des objectifs plus ou moins clairement affichés. Nous pensons particulièrement aux acteurs politiques, qui jouent un rôle parfois essentiel dans ce « travail de la ville ». Leur activité s’inscrit tant au niveau national, au sein de différents ministères dont celui qui est chargé de la ville, qu’au niveau local, avec des élus communaux et intercommunaux en capacité d’impulser des changements importants dans les villes qu’ils gouvernent. Les politiques publiques instaurées par ces acteurs ne sont pas les seuls leviers dont ils disposent pour « donner une consistance » à la ville : les discours jouent aussi un rôle moteur dans cette entreprise. C’est donc le pouvoir performatif des discours (Austin, 1991) et des récits sur la ville que nous cherchons ici à questionner. Cette production d’une parole symbolique sur la ville est à mettre en lien avec l’influence exercée par d’autres acteurs privés : cabinets de conseil, bureaux d’études, chercheurs, think-tanks, etc, qui sont de plus en plus sollicités par les acteurs politiques. Il serait intéressant d’approfondir les caractéristiques sociologiques de ces acteurs devenus essentiels dans le processus de co-construction de l’action publique sur la ville.

Différents types d’acteurs participent donc à la dynamique de conception des espaces urbains. Mais ils ne sont pas les seuls : nous aimerions ouvrir la réflexion aux usagers de la ville dans leur ensemble. Les habitants sont en effet de plus en plus associés invités à “penser” leur ville ou leur quartier dans le cadre de dispositifs de démocratie participative. Cet “impératif délibératif” est-il porteur d’un véritable pouvoir des habitants sur l’organisation de l’espace qu’ils occupent ? 

Le travail sur la ville s’incarne aussi dans des activités professionnelles plus opérationnelles. Afin de mener à bien leurs projets pour la ville, les élus se reposent sur des personnels administratifs aux savoir-faire techniques souvent centraux dans la prise de décision. L’étroitesse de cette collaboration peut même aller jusqu’à rendre difficile la distinction entre influence du pouvoir politique et influence de la technocratie dans la prise de décision. Notre attention se porte spécifiquement sur les caractéristiques des agents administratifs en charge des questions urbaines. Qui sont-ils ? Quel est leur parcours ? Comment pensent-ils leur rapport à la ville et à leur travail ? Cet intérêt et ces questions s’étendent également aux domaines professionnels extérieurs à la fonction publique mais tout aussi décisifs dans la « fabrication » de la ville : l’architecture et l’urbanisme, par exemple. S’écartant légèrement des profils abordés jusqu’à présent, nous portons aussi notre regard sur les acteurs guidés par une perception marchande de la ville. Les promoteurs immobiliers en font partie. Leur implication dans les politiques de logement peut avoir des effets importants non seulement sur la morphologie mais aussi sur la sociologie des villes. S’inscrivant aussi dans une conception financière des espaces urbains, les agents immobiliers sont des acteurs qui attirent également notre attention. Jusqu’où va leur activité ? Quelle est leur part de responsabilité dans les évolutions des villes ? Par quelles représentations sont-ils guidés ?

Si nous avons fait le choix de présenter de façon distincte et schématique les volets « conceptualisation » et « construction » de la ville, il est fréquent que différentes dimensions s’entremêlent au sein d’une même activité professionnelle. D’ailleurs, la frontière entre les différents métiers évoqués est parfois fine, ce qui facilite le passage d’un milieu à un autre. C’est pourquoi nous proposons de nous intéresser à ces acteurs du point de vue de leurs trajectoires professionnelles et de leurs “carrières”.  Sont-elles marquées par des formes de continuités, de ruptures ?

Faire fonctionner la ville : (nouveaux) espaces et (nouvelles) formes du travail urbain

Les enjeux de fonctionnement des espaces urbains nécessitent eux aussi le développement de plusieurs activités professionnelles. Dans cet axe, nous proposons d’interroger ces formes de travail spécifiques à la vie en ville à partir de plusieurs interrogations.

Existe-t-il des « métiers urbains » ? Il s’agit d’abord de questionner l’existence d’activités professionnelles, formelles comme informelles qui prennent sens exclusivement en milieux urbains. On peut penser à des formes de travail dépendantes de la concentration des populations, critère propre aux milieux urbains. Nous pensons à des activités comme la récupération ou le recyclage des déchets. Plusieurs travaux se penchent aussi sur l’émergence des travailleurs d’appli,  les travailleurs indépendants comme les chauffeurs et livreurs, les micro-travailleurs et les chefs à domicile qui sont mis en contact avec leurs clients par des plateformes numériques et dont l’activité est directement dépendante des villes.

Comment la ville impacte-t-elle les activités professionnelles ? Au-delà de l’existence d’activités totalement dépendantes des espaces urbains, cet axe propose également d’interroger, dans une perspective plus large, comment la ville structure et/ou transforme tout un ensemble d’activités professionnelles, qui ne lui sont pour autant pas spécifiques. On pense par exemple aux spécificités du travail de gestion des déchets, qui constitue un enjeu particulièrement décisif en milieu urbain. 

Comment la ville s’approprie-t-elle de nouvelles activités pour faire face à de nouveaux défis ? Les espaces urbains sont de plus en plus soumis à un ensemble de limites, autant sur un plan économique, avec des phénomènes de décroissance urbaine, que sur un plan écologique. Pour faire face à ces nouveaux enjeux, on observe le développement d’un ensemble d’activités orientées vers la transition écologique et qui visent à redéfinir les modes de vie en ville. On pense par exemple à la professionnalisation de l’agriculture urbaine, qui vient par ailleurs réinterroger la distinction historique entre activité urbaine et activité rurale.

Cet axe 2 vise notamment à interroger les rapports sociaux de domination en jeu dans l’ensemble de ces activités liées à la production et au fonctionnement de la ville. Tout l’enjeu sera alors d’observer dans quelle mesure les hiérarchies sociales entre ces différentes formes d’activités liées à  la ville se révèlent et s’expriment à travers les manières de travailler dans/sur l’espace urbain. 

Cet enjeu soulève alors plusieurs questions : Dans quels espaces de la ville se réalisent ces activités ? A quels horaires sont-elles rythmées ? Ces formes d’activités urbaines sont-elles visibles ou invisibles ? 

Au-delà des pistes suggérées ci-dessus, toute proposition traitant des villes et du travail sera étudiée par le comité scientifique.

 

Bibliographie indicative

Austin John L., Quand dire, c’est faire, traduction française et introduction de G. Lane, postface de F. Récanati, Paris, Le Seuil, 1991 (1962).

Burgess Ernest W., « La croissance de la ville, introduction à un projet de recherche » in Grafmeyer Yves et Joseph Isaac, L'école de Chicago. Naissance de l'écologie urbaine, Paris, Champs Essais, 2009 (1979).

Duclos Denis (dir.), De l'usine, on peut voir la vi(ll)e, Journées d'études sur le thème les Travailleurs et les effets de la production sur les milieux et les modes de vie, Paris, 1981.

Espaces et sociétés, dossier Formation, emploi, territoires, Erès, 2009/1-2 (n°136-137).

Espaces et sociétés, dossier L’inscription territoriale du travail, Erès, 1998/2 (n°92-93).

Kain John F., “Housing segregation, negro employment, and metropolitan decentralization”, Quarterly Journal of Economics, 82, 1968, pp. 32-59.

Les Mondes du travail, dossier n°27, Périphéries. La part du travail dans la production de l’espace, décembre 2021.

Weber Max, La ville, Paris, La Découverte, coll. « Politique et sociétés », 2014 (1921), traduit de l'allemand et introduit par Aurélien Berlan ; étude critique française établie par Aurélien Berlan ; postface d'Yves Sintomer.

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